Fondée en 1946[1], Tupperware fait partie intégrante de nos armoires depuis ce temps. C’est cohérent avec un chiffre d’affaires dépassant les deux milliards de dollars américains par an de 2008 à 2018[2]. Ce sont donc des milliers de représentants qui ont adopté le modèle d’affaires de la vente à domicile développé dans les années 50 par Brownie Wise[3]. Soixante-dix ans plus tard, le modèle de commerce à la maison a été mis à l’épreuve par la Ville de Roberval qui voulait faire cesser son usage sur une portion de son territoire.

La Ville de Roberval, par demande introductive d’instance devant la Cour supérieure, souhaitait que le Tribunal déclare que le commerce des produits Tupperware constituait un usage incompatible avec son règlement de zonage portant le numéro 2018-09[4].

En somme, la Ville prétendait que notre cliente ne pouvait faire le commerce de Tupperware dans sa résidence, ce qui est fondamentalement la force de la marque et la seule façon de l’opérer.

Un règlement de zonage définit qu’est-ce qu’il est possible de faire dans certaines zones de la ville.

Le règlement 2018-09 permet certains commerces de voisinage qui sont définis en 4 catégories.

Pour être permis d’exploiter un commerce dans la zone ou demeure notre cliente, elle doit faire partie de la catégorie visée à l’article 2.1 c) car les usages prévus à 2.1 B), intitulé, vente ou location de produits ou de services de consommations courants, ne sont pas autorisés dans son secteur.

L’article avec les deux catégories pertinentes du règlement utilisé par la Ville se lit ainsi :

(En rouge ce qui n’est pas permis dans le secteur de notre cliente, en vert ce qui est possible)

     2.1      Commerce de voisinage[5]

Sont notamment de cette classe les usages et les constructions (ou établissements) suivants

a) […] 

b) vente ou location de produits ou de services de consommation courants tels que :

fleuriste, magasin de chaussures, buanderie, produits informatiques, magasin de vêtements, quincaillerie, magasin de meubles, pharmacie, tabagie, dépanneur sans poste d’essence, centre vidéo, succursale de vente d’alcool, succursale de vente de cannabis;

c) services personnels tels que :

garderie, courtier en immeubles, photographes, salon de coiffure, salon de beauté, cordonnerie, serrurier, atelier de couture, galerie d’art, atelier de production ou de réparation artisanale d’objets autres que véhicules motorisés (appareils électriques et électroniques, affûtage, poterie, joaillerie, meubles et autres produits similaires);

d) […] 

Le litige a démarré du fait que la Ville prétendait que le commerce de Tupperware est dans la catégorie b) plutôt que dans la catégorie c);

Comme le commerce de Tupperware n’est pas défini clairement dans l’une ou l’autre des catégories, il faut donc se référer à l’article 14 du règlement pour savoir quoi faire, à savoir :

La description faite de chaque groupe d’usages et de constructions constitue une description indicative et non limitative.

Ainsi, tout usage ou construction non cités dans la classification peut être attribué au groupe qui lui est le plus similaire ou compatible.[6]

La question en litige est alors de savoir quel est le groupe le plus similaire ou compatible pour le commerce des produits de cuisine de la célèbre marque.

C’est le débat qu’a eu à trancher l’Honorable Sandra Bouchard, juge de la Cour Supérieure, lors de l’audition du 11 novembre 2021.

Elle résume la position des parties de la façon suivante :

[37]  Pour la Ville, le commerce de vente de produits Tupperware opéré par Mme Savard correspond clairement à un usage de « vente ou location de produits ou services de consommation courants », au sens du paragraphe 2.1 b) de l’article 15 du règlement de zonage et non autorisé comme usage secondaire en zone résidentielle.

[38]  La Ville invite le Tribunal à regarder tous les attributs de l’usage pour conclure inévitablement à un usage de vente pour le commerce de Mme Savard et ainsi constater la non-conformité à la réglementation. De plus, la Ville plaide qu’en cas de nécessité d’interpréter le règlement, le dénominateur commun des activités décrites aux paragraphes b) et c) de l’article 15 devraient aussi conduire le Tribunal à conclure à des activités de vente. L’impact de cet usage sur l’entourage n’a pas à être considéré.

[39]  Les défendeurs soutiennent, pour leur part, que bien que l’usage soit de nature commerciale  et qu’il y ait une activité de vente, cela ne devrait pas conduire systématiquement à inclure  l’activité commerciale de Mme Savard dans la classe prévue au paragraphe 2.1 b) de l’article 15 et  non permis comme usage secondaire.

[40]  Les défendeurs soumettent que le point commun des activités décrites au paragraphe 2.1 b) du  règlement est l’achalandage plus important engendré par ces types de commerce. L’impact sur le voisinage serait donc un critère important à considérer pour déterminer dans quelle classe se situe l’activité commerciale de Mme Savard.[7]

Le Tribunal commence son analyse en cherchant l’objectif de la règlementation en cause et le détermine ainsi[8] :

[41]  Le zonage d’une ville limite l’utilisation des immeubles dans l’objectif de prévenir la survenance de nuisance et d’encadrer les impacts potentiels des usages permis sur un territoire donné. Sa destination est avant tout de contrôler les usages et l’implantation des constructions, mais aussi de minimiser les effets néfastes d’un usage

[42]  La notion d’usage n’est pas définie dans la Loi.

                        7 Saint-Romuald (Ville de) c. Olivier, 2001 CSC 57 (CanLll).

8 Voir LECHASSEUR, Marc-André, Zonage et urbanisme en droit canadien, Wilson & Lafleur, 3ᵉ +d., 2016,

Montréal, paragr. 7.4.

Par la suite, l’analyse se poursuit en utilisant l’article 14, ci-haut mentionné, pour chercher le groupe le plus similaire ou compatible.

D’entrée de jeu, il est conclu dans le jugement que « Le fait qu’il y ait vente de produits n’est pas en soi suffisant et déterminant pour inclure cette activité systématiquement dans l’usage prévu au paragraphe 2.1 b) intitulé « vente » . »[9]

Plus loin, la Cour renchérit que « se limiter uniquement au critère de la vente est un raccourci qui mène à des situations aberrantes. Le Tribunal conclut que ce n’était pas l’objectif visé. »[10]

La juge utilise principalement la notion d’achalandage comme dénominateur commun pour procéder à la comparaison des catégories.

Le Tribunal fait état, notamment, du libre accès au public sans rendez-vous pour les commerces de vente au détail, versus les clients qui doivent prendre rendez-vous pour se présenter chez les représentantes Tupperware.


Aussi, il est tenu en compte que la présence des clients dans le commerce de Tupperware est bien accessoire au modèle d’affaires de la compagnie qui se déroule maintenant beaucoup sur internet, par catalogue ou encore par représentations en domicile, lorsque le Covid le veut bien.

Le point déterminant est que « la vente de produits n’est pas accessible ni ouverte à tout consommateur qui souhaite magasiner en s’invitant au domicile de Mme Savard à des heures d’ouverture déjà planifiées et annoncées, comme cela est le cas pour les activités de vente décrites en 2.1 b). »[11]

La juge utilise également des décisions en semblable matière qui cadre bien avec le dossier et cite ainsi le juge Mongeon en ces termes :

Un règlement de zonage d’une municipalité se doit d’être interprété de façon logique et dans un objectif de permettre une application positive et conforme au but recherché par le règlement plutôt que de provoquer un résultat qui conduit à l’absurde ou à une absence totale de bon sens. Le présent dossier illustre bien cette approche téléologique.[12]

Le Tribunal conclut donc ainsi :

Par conséquent, comme le Tribunal conclut que l’utilisation de la construction située sur l’immeuble […]  à Roberval correspond à un usage de type « services personnels » au sens de l’article 15 de son règlement de zonage, lequel est autorisé, la demande de la Ville en cessation d’usage dérogatoire est rejetée.[13]

Tupperware, une marque de commerce qui fait partie du paysage depuis belle lurette, a été confrontée à des lois bien actuelles. Tout comme la loi, ses méthodes ont bien évolué depuis les premières présentations à domicile il a plus d’un demi-siècle. L’avènement d’Internet, mais aussi un contexte pandémique a nécessité une analyse juridique. Toutefois, le constat reste que les règlements municipaux ont des objectifs précis, mais le résultat de leur interprétation doit respecter le gros bon sens.


[1] https://fr.tupperware.ca/pages/about-us

[2] https://www.macrotrends.net/stocks/charts/TUP/tupperware-brands/revenue

[3] https://historyandbusiness.fr/brownie-wise-la-saga-des-reunions-tupperware/

[4] https://assets.website-files.com/5dd30928f1158203b906facd/5e20ade49986ae6ef2b3f295_R%C3%A8glement%20complet%20zonage%202018-09.pdf

[5] Id (Page 63/250)

[6] Id.

[7] Jugement de l’Honorable Sandra Bouchard rendu le 26 janvier 2022 dans le dossier portant le numéro 155-17-000015-210

[8] Id.  paragraphe 41 & 42

[9] Id. paragraphe 45;

[10] Id. Paragraphe 53

[11] Id. Paragraphe 52

[12] Municipalité de Saint-Cuthbert c. Goyette, 2019 QCCS 772. (https://canlii.ca/t/hxwnq)

[13] Jugement de l’Honorable Sandra Bouchard rendu le 26 janvier 2022 dans le dossier portant le numéro 155-17-000015-210, paragraphe 58