Victoire pour les délinquants autochtones à l’égard du Service correctionnel du Canada;

Dans une décision à 7 contre 2, la majorité de la Cour suprême, sous la plume du juge Wagner, a donné partiellement raison à Jeffrey Ewert, un délinquant métis contestant le recours par le Service correctionnel du Canada (SCC) à des outils d’évaluation « au motif qu’ils avaient été élaborés et mis à l’épreuve à l’endroit d’une population principalement non autochtone, et qu’aucune recherche ne confirmait qu’ils étaient valides dans le cas des Autochtones. Il a donc soutenu que le recours à ces outils à l’égard de délinquants autochtones enfreignait le par. 24(1)  de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (« LSCMLC  »), qui oblige le SCC à « veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets », de même que les art. 7  et 15 de la Charte . »

La Cour Suprême arrive à la conclusion qu’  « en continuant de se fier aux outils contestés sans s’assurer de leur validité à l’endroit des délinquants autochtones, le SCC a manqué à l’obligation qui lui incombait suivant le par. 24(1)  de la LSCMLC  de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient exacts. Cependant, l’utilisation par le SCC des résultats produits par les outils contestés ne constitue pas une atteinte aux droits garantis à E par les art. 7  ou 15  de la Charte . »

Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal s’est penché sur deux questions. Dans un premier temps, « les résultats produits par les outils contestés sont‑ils des renseignements du type de ceux auxquels s’applique le par. 24(1) ? ». La réponse fut positive. Et, dans un deuxième temps, est- ce que « le SCC a manqué à son obligation et, plus précisément, s’il a omis de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les outils contestés produisent des renseignements exacts lorsqu’ils sont utilisés à l’égard d’Autochtones ». La réponse fut également affirmative.

« Dans le contexte de la présente affaire, cela veut dire que le SCC doit au moins essayer de répondre aux inquiétudes valables et de longue date selon lesquelles la poursuite de l’utilisation des évaluations du risque contestées à l’égard des détenus autochtones perpétue la discrimination et contribue à la disparité des résultats correctionnels entre les délinquants autochtones et les délinquants non autochtones. Le SCC doit veiller à ce que ses directives d’orientation générale et programmes soient appropriés pour les délinquants autochtones et adaptés à leurs besoins et à leur situation. Pour que le système correctionnel fonctionne de manière équitable et efficace, il faut cesser de présumer que tous les délinquants peuvent être traités équitablement en étant traités de la même façon. Le SCC a manqué à son obligation aux termes du par. 24(1) , vu son inaction quant aux préoccupations soulevées à propos des outils contestés. »

La Cour en vient donc à la conclusion qu’il est « opportun de prononcer un jugement déclaratoire selon lequel le SCC a failli à son obligation aux termes du par. 24(1)  de la LSCMLC . »

Par contre, Ewart n’a pas été en mesure de remplir son fardeau de prouver une atteinte à ses droits garantis par la Charte.  Il « devait démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la pratique du SCC consistant à utiliser les outils contestés à l’égard des délinquants autochtones n’avait aucun lien rationnel avec l’objectif du gouvernement ». Ce qu’il n’a pas été en mesure de faire.

 

Dissidence

Les juges Côté et Rowe partage l’avis de la majorité en ce qui concerne les atteintes à la Charte mais en désaccord concernant l’atteinte au paragraphe 24 (1) de la LSCMLC.  Ils sont d’avis que « bien qu’il importe de remédier à la surreprésentation des Autochtones dans les prisons et que l’on se soucie du défaut du SCC de résoudre la question soulevée par E, le législateur ne souhaitait pas obliger le SCC à rendre des comptes sur ce point conformément au par. 24(1) . » Ils ne sont pas non plus d’accord avec la réparation à accorder, comme « le recours traditionnellement reconnu lorsqu’une autorité publique manque à son obligation légale est la demande de contrôle judiciaire pour invalidité », « Permettre aux détenus de demander un jugement déclaratoire reviendrait dans les faits à contourner le processus ordinaire de contrôle judiciaire et les décideurs administratifs n’auraient pas droit à la déférence qui leur est normalement accordée. »